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Découvertes CircARAssiennes – Rencontre avec Simon Carrot de La Tournoyante Production

Zoé KOLIC 19 avril 2021
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La Tournoyante Production, Création Mû, 2019 © Rémy Paillat

Pour ce deuxième volet sur les arts du cirque en Auvergne-Rhône-Alpes, nous sommes en compagnie de Simon Carrot, directeur artistique de la compagnie La Tournoyante Production, initialement basée en Ardèche. La compagnie explore les agrès et le corps humain, cherchant les limites de la création et provoquant la curiosité du spectateur. Défiant les lois de la gravité en mettant à l’épreuve le corps humain, La Tournoyante Production continue aujourd’hui de développer sous des formes variées sa dernière création,  

Pourriez-vous nous présenter votre parcours et les débuts de la compagnie ? 

J’ai démarré assez jeune en fait. Je viens d’Ardèche et j’habitais dans une ville où avait lieu un festival de spectacle de rue. Vers 9 ans j’ai commencé à faire des petits spectacles avec plusieurs enfants. On construisait des spectacles et on les présentait à cette occasion. Puis on a été repéré par des programmateurs qui trouvaient ça génial de faire des spectacles pour enfants par des enfants. On a commencé à être programmé, à faire nos premières tournées. C’est ce qui m’a donné envie de me lancer dans le spectacle et c’est après que les choses se sont précisés autour du cirque. À 13 ans je suis allé à Besançon pour suivre le cursus de l’école du Cirque Plume. Là-bas j’ai suivi la formation préparatoire avant d’entrer à l’École Nationale du Cirque de Châtellerault qui est l’école préparatoire aux grandes écoles de cirque françaises. J’ai ensuite intégré l’ENACR (École Nationale des Arts du Cirque de Rosny-sous-Bois) pendant 2 ans. Puis à la sortie je suis rentré au CNAC (Châlons-en-Champagne), qui se passe en 3 ans. Ça a été un long cursus duquel je suis sorti à 23 ans.

Dès l’ENACR, j’avais déjà une discipline de prédilection qui était la roue allemande et la roue Cyr. J’avais aussi beaucoup de velléité pour la mise en scène, le regard extérieur essentiel à une création que j’ai pu développer en travaillant avec des compagnies à ma sortie de l’école. Puis en 2010, j‘ai réalisé le premier spectacle de ma compagnie, que j’ai créé pour pouvoir monter mes propres projets, aujourd’hui elle a quatre créations à son actif. Les spectacles ont été de plus en plus gros, de plus en plus importants en termes de personnes au plateau. Il y a eu tout un chemin qui était pour moi d’être d’abord artiste sur scène, puis progressivement avec le nombre d’interprètes qui s’est ouvert, je me suis peu à peu retiré. J’ai pris du recul pour mettre ma priorité sur l’écriture, la mise en scène, pour y voir plus clair sur chacune des créations.

La Tournoyante Production se concentre particulièrement sur la recherche et l’exploration de nouveaux agrès. Qu’est-ce qui vous intéresse par-là ?

Oui c’est une thématique qui est récurrente et c’est ce qui m’a amené dans le dernier projet à travailler avec l’électromagnétisme. Moi ce qui me questionne depuis le début c’est cette question d’agrès et aujourd’hui plus particulièrement la question du “dispositif”. Je considère que quand on est artiste de cirque on est un vecteur. C’est à dire qu’on est mis en présence d’une situation, d’une force physique via un objet, un agrès et c’est en ce sens-là que c’est un dispositif. C’est ce dispositif qui est vecteur de potentialités physiques, qu’elles soient acrobatiques, matérielles ou dramaturgiques. C’est à dire que par le dispositif, on peut raconter quelque chose ou évoquer des idées particulières, en passant par une esthétique particulière. On se retrouve alors dans une position de chercheur et c’est ce qui m’a incité à me rapprocher de chercheurs d’autres domaines, notamment scientifiques.

Création No/More, 2016 © Ian Grandjean

Création No/More, 2016 © Ian Grandjean

Comment se déroule le processus de création ? Comment décidez-vous d’explorer un agrès en particulier ?

Le plus souvent ce sont des flashs. Depuis un moment je baigne dans cette réflexion, je m’interroge sur cette confrontation à la matière et j’ai déjà expérimenté pas mal de choses, sous différents angles. Il y a un moment où le cerveau condense ces informations de façon un petit peu magique et produit une intuition, ce que j’appelle un flash. D’un seul coup je vois un objet, ou ce que j’appelle un dispositif, cet ensemble d’objet ou en tout cas quelque chose qui permet une situation, une implication physique. Et tout de suite j’ai cette espèce de double perspective de l’étendue des possibilités qu’il propose. On peut facilement imaginer des agrès, mais souvent quand on produit un agrès il peut être trop ciblé, c’est à dire qu’il ne sert finalement qu’à faire une chose. Là où je vois de la valeur dans un agrès ou un dispositif c’est que j’y vois un champ très large de possibilités. Il met en jeu certaines forces mais finalement il va pouvoir être utilisé de façons très différentes. Si on a un regard de manipulateur d’objet, de jongleur par exemple, on se l’approprie d’une certaine façon. Si on a un regard de trapéziste, quelqu’un qui joue sur la suspension, le ballant, la rythmique on a un autre regard. Ce qui m’intéresse dans un agrès ou un dispositif c’est cette multitude de perspectives possible. Je ne viens pas avec une idée préétablie de ce que j’aimerais dire ou raconter. C’est la relation à l’objet, l’agrès, la quantique, la situation mise en jeu qui va raconter. Le dispositif évoque un rapport spécial à la matière, au monde, et c’est en ça qu’il sera utilisé de façons très diverses. On peut décider alors de rester très conceptuel, mais d’amener aussi d’autres pratiques, de faire des liens avec la danse, le théâtre, la marionnette… C’est cette recherche sur la connexion entre une relation à la matière et la possibilité de sens qu’elle évoque qui me produit ces formes d’intuitions et de flashs.

Si le champ des possibles est alors très vaste, est-ce pour cela que l’on trouve dans vos spectacles un seul dispositif ou agrès ?

Oui absolument, parce que je trouve que dans un dispositif y’a un champ infini. C’est comme si en musique, vous inventiez un instrument. Une fois qu’il est créé y’a une infinité de choses à faire. Évidemment on peut faire des spectacles qui mixent tous les instruments. Mais là comme ce n’est pas un instrument qui existe déjà, je m’attèle à montrer la spécificité de cet instrument-là, cet agrès ou dispositif et ainsi l’étendue de ses possibilités dont j’essaye de faire le tour. Et si j’arrive à en faire le tour finalement c’est que le dispositif avait ses limites. Plus il est intéressant, moins j’arrive à le circonscrire.

Création Kosm, 2013 © Daniel Michelon

Création Kosm, 2013 © Daniel Michelon

Votre dernier spectacle explore le domaine de l’électromagnétisme, dans lequel les limites du corps humain sont explorés et repoussées. A l’aide d’un matériel très sophistiqué, vous avez travaillé aux côtés d’Ulysse Lacoste pour la conception et la construction des dispositifs scéniques qui sont une composante essentielle de cette création. Comment ces dispositifs ont-ils été constitué et quels sont les différents “objets” qui les composent ? 

Le dernier projet est vraiment celui dans lequel je m’aventure le plus dans ce champ du dispositif, jusqu’à lui trouver plusieurs formes. Dans ce spectacle, l’objet lui-même n’est pas un objet. C’est un jeu de relations entre le corps humain et les capacités de mouvement du corps, avec l’électromagnétisme. Le matériel qu’on a conçu se compose de dispositifs magnétiques, d’aimants sous formes diverses et variées. Et c’est ici que c’est infini parce que la création ne s’arrête jamais, on imagine des aimants qui peuvent être manipulés, déplacés différemment.

A partir de là on a un deuxième élément, qu’on appelle les interfaces, qui sont des pièces mécaniques. On joue avec des petits aimants, au travers de grandes plaques métalliques qu’on a fabriqué. Nos interfaces ont des potentialités multiples. On les a conçus comme un jeu de Lego qui structure des espaces scénographiques divers. On peut créer des murs, des plafonds, des escaliers, imaginer construire des infrastructures. Il y a une infinité de possibilités par ce jeu d’interfaces.
Les derniers éléments de notre spectacle on les appelle “les éléments réactifs”. Ce sont les éléments qui vont être attirés au travers de l’interface. Ce sont soit des éléments qui existent déjà (des chaises, des tables …) auxquels on va intégrer des éléments métalliques, soit des éléments plus spécifiques, qu’on appelle nous des “éléments de combinaison” qui viennent sur le corps humain, comme des chaussures. Ce sont ces éléments qui entrent en jeu avec les interfaces. Tous ces éléments forment le dispositif.




a également une forme très différente de vos précédentes créations, notamment dans les “formats” de représentations que vous proposez. Pourquoi ce choix ?

On voulait que ce soit un projet qui puisse aussi bien être une forme longue qu’un petit format, pour pouvoir s’adapter à différents espaces. On ne voulait pas simplement habiter une scène mais on voulait vraiment pouvoir coloniser l’espace. On a beaucoup travaillé sur l’espace public et on a toujours proposé une forme pour la rue. C’est la synthèse de ces différents éléments qui se joue aussi dans le projet Mû, avec cette idée de pouvoir habiter des espaces qui soient aussi bien des espaces naturels qu’urbains. Nos structures, nos interfaces ont une esthétique très métallique qui fonctionne très bien dans des friches industrielles et par contraste ça fonctionne aussi très bien dans des espaces naturels. Ce sont des espaces qu’on se réapproprie.

Dans le projet on considère qu’il y a quatre temps de développement, quatre formes qui constituent . On a d’abord les formes longues, c’est à dire les spectacles d’une durée plus traditionnelle. Ensuite on trouve les formes courtes, qui sont plus malléables. On a également tout une partie médiation. On a voulu que la recherche puisse se faire en lien avec le public et donc on a conçu des ateliers de médiation pour essayer de faire participer les gens à notre recherche. On leur explique les idées qui nous ont amené jusque-là. On leur présente le matériel qui est déjà disponible et on leur propose de l’essayer et de s’y confronter. Quand on était en pleine phase de création, y compris du matériel, les gens nous ont apporté beaucoup de ressources. C’étaient des idées, des remarques, il y avait un vrai échange avec eux qui nous a vraiment permis d’avancer.

Enfin il y a le “laboratoire”. C’est l’exploration de nouvelles perspectives, de mouvements, d’éléments d’interface, pour amener à des choses nouvelles. Cette partie “laboratoire” c’est ce qui nous amène aujourd’hui a vouloir travailler de plus en plus sur un principe de commande. Par exemple, on avait reçu une commande de Lieux Publics (Centre National de création à Marseille), sur une sirène qui sonne tous les premiers mercredis du mois à 12h. Comme elle sonne également à 12h12, il fallait créer une forme de 12 minutes qui interagisse avec cette sonnerie et qui se jouerait sur le parvis de l’opéra de Marseille. On vise donc des espaces qui ne sont pas fait pour le spectacle à l’origine et on propose une forme spécifique et inédite pour cet endroit-là. On a notre savoir-faire mais on attend que les gens nous donne des contraintes parce que c’est avec ça qu’on va pouvoir jouer. C’est ce qui nous intéresse particulièrement aujourd’hui : créer des évènements particuliers pour des espaces particuliers.

Version petit format de la création Mû, 2019 © Rémy Paillat

Version petit format de la création Mû, 2019 © Rémy Paillat

Comment se passe la situation pour vous avec la crise sanitaire, vous avez dû arrêter en plein milieu les représentations de ?

On a fait les premières petites formes de fin 2019 et on a sorti la forme longue fin janvier 2020, donc concrètement avec la crise sanitaire on a fait six représentations puis on s’est retrouvé confiné. Toutes les dates prévues ont été annulés ou reportés. On a pu reprendre les répétitions à partir de septembre. Le spectacle c’est une forme vivante, c’est pas du tout comme un objet qu’on pourrait ressortir plus tard. Il faut repasser par le plateau, répéter… En plus, c’est un spectacle particulièrement exigeant techniquement, on se met en danger si on a pas assez répété. Donc nos partenaires nous ont suivi et on a pu a nouveau se remettre à jouer et on en a profité pour continuer d’avancer, à travailler sur de nouvelles formes. Aujourd’hui on se remet à chercher des possibilités de résidence, mais il y a aussi des problèmes liés à la programmation, c’est pas toujours évident de reprogrammer des spectacles. Donc tous ces problèmes et le contexte font que les choses restent quand même très floues pour l’instant. On est toujours sur le projet mais pour l’instant il n’a pas tellement vécu, il est tout juste sorti de la boite. On ne doit pas du tout s’arrêter là, il faut qu’il puisse vivre pendant plusieurs années et si possible avec tous les développements qu’on lui imagine.

Pour plus d’informations sur La Tournoyante Production c’est ici. Et si la situation sanitaire le permet, les dates de leurs prochaines représentations sont visibles ici !

Info fraîche : La Tournoyante vient tout juste de terminer une nouvelle forme courte de leur création Mû On ne s’étonne plus assez de marcher sur la terre. Cette création est lauréate de l’Appel à Projets XS et UP ! 2021, porté par l’Espace Catastrophe et le Théâtre National Wallonie-Bruxelles, préfigurant une nouvelle forme longue prévue pour 2022 … Affaire à suivre. 

Propos recueillis par Zoé KOLIC

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